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Les mille subtilités de l’art du thé

Atelier

Maître de lui-même et de ses émotions, l’amateur de thé est aussi maître de son temps. Le thé, il ne le boit pas debout, comme l’amateur de vin, mais assis, dans son salon, ou accroupi, sur un tatami.

Comme l’écrit joliment Gilles Brochard, adepte des voyages intérieurs provoqués par le thé, « déguster un thé, c’est déjà partir, conquérir des ailleurs ». Contrairement au vin, le thé ne débouche pas sur l’ivresse, mais procure un mélange d’excitation et de relaxation. Comme le vin, en revanche, l’univers du thé réclame des années d’initiation, de dégustation, de lecture, de voyages et de rencontres.

Pour Lyne Wang, fondatrice de Terre de Chine, rue Quincampoix, à Paris, « il est impossible de parler du thé en général. Rien qu’en Chine, où le thé a été découvert, il y a plus de 4 000 ans, il existe une infinité de terroirs, de climats et de théiers, et sur les milliers de paysans qui les cultivent, aucun ne produit exactement le même thé… » Alors que le raisin n’est récolté qu’une fois par an, le théier, qui est un arbre à fleurs persistantes, donne au moins trois récoltes annuelles : printemps, été, automne ! « Chaque récolte, explique Lyne Wang, se déroule en plusieurs cueillettes et chacune donne une feuille différente : un thé de première cueillette n’aura donc pas le même goût qu’un thé de deuxième, troisième ou quatrième cueillette… ».

Née en 1966 à Shanghaï, Lyne Wang s’est prise de passion pour les thés de Chine, en 1995. Aujourd’hui, de nombreux étudiants et hommes d’affaire chinois viennent la voir à Paris pour redécouvrir les plus grands thés d’origine que, dans leur propre pays, ils avaient perdu l’habitude de boire : « En Chine, la plupart des gens boivent du thé sans se poser de questions, ils voyagent peu et connaissent mal leur pays. Ainsi, un habitant de Shanghai boira-t-il les thés de sa province, sans aller voir ailleurs, à des milliers de kilomètres de chez lui, dans les campagnes pauvres et sous-développées ou dans les montagnes où sont cultivés les thés d’exception. » Chaque année, Lyne Wang se rend donc dans les provinces les plus reculées de Chine à la rencontre de paysans parfois très pauvres qui n’ont jamais utilisé le moindre pesticide. « Ils  façonnent leurs thés de la même façon depuis des milliers d’années ! Cultivés à 2500 mètres d’altitude, leurs théiers centenaires sont parfois hauts de plusieurs mètres et leurs feuilles sont consommées comme des médicaments. »

Dans sa fabuleuse boutique du Marais, Lyne Wang n’a sélectionné que quinze producteurs cultivant les six familles de thés chinois traditionnels : blanc, vert, rouge, noir, wulong et jaune. La règle d’or pour choisir son thé ? « Exigez l’appellation, la provenance et la date ! Sinon, abstenez-vous, car il n’y a pas de contrôle de qualité en Chine. Les thés les plus médiocres sont parfumés au jasmin ou à la rose pour dissimuler leurs défauts. » Il faut absolument goûter son thé blanc d’avril 2013 appelé Yin Zhen (« aiguilles d’argent ») originaire de la province du Fujian au sud de la Chine. C’est un thé de printemps, issu de la première cueillette, au subtil goût d’orchidée, qu’il faut servir dans une tasse blanche pour en apprécier la couleur pâle.

Pour Lyne Wang, les bons thés fumés au feu de bois sont très rares : « La plupart des thés réservés à l’exportation sont fumés au charbon. Un vrai thé fumé doit être fin, sans lourdeur ni amertume. » Si vous aimez ce type de thés, précipitez-vous sur son Zheng Shan Xiao Zhong, provenant d’un arbre âgé de 200 ans enraciné sur des rochers. Après la fermentation, ses feuilles très fines ont été fumées au-dessus d’un poêle à bois. Le goût de fumé est dans la bouche, pas dans le nez, délicat et toujours persistant après la dixième infusion ! Mais pour accéder à l’Everest des grands thés de Chine, il faut se rendre à Pu’er, un village de plus de 3 000 ans entouré de six montagnes, bénéficiant d’un climat et d’un terroir exceptionnels. « Pu’er est aux thés de Chine ce que les grands bordeaux sont au vin français, assure Lyne Wang, sauf que, depuis 1970, la Chine exporte un pu’er « accéléré » au goût désagréable de terre et de moisissure. Il faut quarante jours de fermentation pour façonner un vrai pu’er. Si on veut accélérer le processus, on ne mettra que dix jours, en ajoutant de l’eau et en chauffant, d’où le goût de moisi… » Son pu’er Sheng Cha de 2009 est issu d’un théier sauvage âgé de 500 ans, haut de 10 mètres : « La plantation est une forêt, impossible donc d’y mettre des pesticides ! » Ce thé noble, traditionnellement comprimé sous la forme d’une galette, peut être conservé vingt ans. Dans la tasse, on admire sa couleur ambrée, son nez de tabac et sa bouche très pure aux saveurs fruitées.

Extrait de l’article d‘Emmanuel Tresmontant, journal Le Monde du 3 août 2013.

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